Comment évaluer la vitalité d’un collectif ?

Dans les écovillages que je visite je cherche en particulier à déceler le rapport qu’il existe entre le collectif et l’individu. En effet chaque projet a sa propre couleur, ses valeurs, son mode de fonctionnement. Dans le quotidien, le collectif est parfois soutenant de l’individu, par des actions plus ou moins impliquantes d’entraide entre les habitants, du prêt de matériel, des synergies professionnelles, des élans de solidarités vers l’extérieur (comme l’accueil de migrants). Les individus trouvent alors des espaces, des moyens matériels ou d’autres personnes pour aider, accompagner leur initiative, leur enthousiasme. Mais parfois le collectif étouffe les dynamiques. Chacun donne son avis sur le sujet, expose des peurs, demande des précisions, des garanties, des compensations… Autant d’éléments qui vont modifier ou alourdir le projet et peut-être, parfois, décourager l’initiateur.rice.

 

Tout comme dans un couple exclusif engagé, la liberté et la sécurité/ le confort viennent se faire face. Dans un collectif établi depuis longtemps, le niveau de sécurité peut être très élevé : les habitants se sentent bien, dans un environnement confortable, avec des cohabitants qu’ils connaissent et mode de fonctionnement rodé. Mais alors tout élément qui pourrait perturber ce confort peut être vu comme un élément à éliminer. Cela provoque des réactions conservatrices, castratrices. Alors une initiative individuelle sera analysée au regard du niveau de perturbation de cette sécurité collective.

Quel est le niveau de liberté perçu par les membres d’un collectif ? Combien de réunions, de discussions, quelle procédure pour mener à bien un projet ? Y a t-il beaucoup d’initiatives avortée faute de compromis ? Ces questions sont importantes pour cerner la dynamique d’un collectif établis.

Aux Choux Lents, je reconnais une certaine sagesse, mais aussi une grande agilité du collectif. Quand une cohabitante a voulu réfléchir à la question de l’accueil de migrants alors que nous n’avions pas fini de rénover tous les appartements, le groupe s’est opposé. Par contre, une fois que nous étions tous installés, l’initiative s’est développée avec simplicité.

Dans certains domaines, il est impossible d’obtenir un consentement, comme le choix de la déco des espaces communs. Et finalement, est-ce grave d’avoir une déco qu’on n’apprécie pas trop si cela est temporaire ? Nous avons donc créé la « brigade beauté » qui consiste à favoriser les initiatives allant dans le sens de créer de la beauté. En gros, si tu veux améliorer la décoration d’un espace commun, tu peux le faire, du moment que ce soit réversible. Si tu as besoin de payer quelque chose, tu dois trouver 3 avis favorables au sein des cohabitants et alors tu as un budget de 150€ disponible. Ce processus vise à ne pas freiner une initiative individuelle qui va dans le sens d’améliorer nos espaces communs. Avec le temps (10 ans de vivre-ensemble), nos vies souvent trop chargées et notre confort bien établi, ce genre d’initiative n’est plus aussi courant qu’au début du projet. Il est donc important de lui laisser de la place. Et puis si la déco ne nous plaît pas, alors peut-être que cela fera naître en nous l’envie et l’enthousiasme de la modifier. Et alors, quelle joie de voir nos espaces communs changer de tête !

 

Cependant, parfois le collectif, même au Choux Lents, peut devenir étouffant, limitant, enfermant. Je me souviens avoir ressenti cette pression du collectif de manière très forte lors de la période du COVID. Le premier confinement avait été un moment très joyeux, où nous nous étions retirés du monde, et après avoir vérifié que le covid n’était pas parmi nous, avoir profité pleinement de nos espaces communs et de nos envies de discuter, célébrer, danser… Par contre, quand les portes se sont entre-ouvertes, les choses sont devenues plus compliquées. Le collectif a alors imposé à ses membres des règles pour garantir sa sécurité. Mon esprit rebelle avait très envie d’enfreindre les règles dictées par le gouvernement, mais aller à l’encontre des directives de mon collectif me menaçait d’isolement, d’exclusion. La pire des punition ! Mais au final, je trouve que nous nous en sommes bien sorti. Dans de nombreux collectifs cette période a provoqué des clivages dont les cicatrices sont encore bien visibles.

Lorsqu’une initiative a du mal à voir le jour à cause de peurs, de projections, de croyances… nous avons une magnifique baguette magique : l’expérimentation ! Oser expérimenter pendant une durée limité et programmer un espace de bilan, voilà une bonne manière de mettre d’accord ceux qui pensent que ça va bien se passer avec ceux qui pensent que ça va mal se passer. Formidable exemple chez nous : les poules ! Après de nombreuses discussions, nous avons emprunté un poulailler et des poules pendant 1 mois puis nous avons fait un bilan en plénière. Résultat : ceux qui pensaient que ça allait faire du bruit, puer, prendre trop de place, étaient finalement pas contre le projet ; et ceux qui étaient motivés par l’acquisition des volailles se sont rendus compte que cela nécessitait du travail et de l’attention… et se sont finalement rétractés.

Je réfléchis aux différents aspects qui permettraient de juger le niveau de vitalité d’un collectif.

groupes Audrey Gicquel

Voici quelques idées :

– capacité à soutenir des projets individuels

– capacité à développer/ entretenir/ expérimenter des projets communs ou des rituels

– diversité de la population (âge, culture, milieu social)

sentiment d’appartenance au collectif/ cohésion du groupe/ NOUS

– capacité à transformer les conflits

niveau de relation avec le monde extérieur (visites, liens professionnels ou amicaux…)

capacité du collectif à soutenir ou proposer des activités de travail sur soi

capacité du collectif à aligner les valeurs portées et les actes, et à se renouveler dans le domaine

Mais attention, je voudrais souligné qu’il n’est pas nécessaire qu’un collectif soit très vivant pour être satisfaisant. De nombreuses personnes cherchent du calme, de la tranquillité, et seront alors très heureux de vivre paisiblement dans un écovillage, un habitat participatif qui ne propose pas trop d’activités bruyantes et où chacun vit davantage chez lui.

Je titille ces sujets auprès des habitants de l’écovillage d’Ithaca où je suis en ce moment. Je souhaite également poursuivre mon exploration auprès des communautés que nous visiterons par la suite. Je trouve cela passionnant et j’aurais à coeur de vous partager les différentes dynamiques rencontrées. Et vous, avez-vous des exemples d’agilité de votre collectif ? Des problèmes d’initiatives étouffées ? Des exemples d’initiatives soutenues par le collectif ? Voyez-vous d’autres aspects importants à regarder pour évaluer la vitalité d’un collectif abouti ? N’hésitez pas à m’écrire pour me partager vos avis, votre expérience !

les choux lents tranquille

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